• 70 ème anniversaire du Front Populaire

    Alain Bergounioux, secrétaire national chargé des études, revient sur la victoire historique, remportée le 3 mai 1936 par le Front populaire. Léon Blum devient président du conseil. Quel fut l'état d'esprit des militants socialistes de l'époque ? Comment l'unité syndicale a-t-elle convergé avec l'unité de la gauche ?



    Quel était l'état d'esprit des militants socialistes à l'époque ?

    Nous sommes après les événements du 6 février 1934. Le fascisme venait de triompher en Allemagne, après avoir triomphé en Italie. Il y a un contexte de crise économique, avec un nombre de chômeurs important pour l'époque, qui sont mal secourus car il n'y a pas d'indemnisation du chômage. La société d'alors est très inégalitaire et les rapports sociaux extrêmement tendus dans les entreprises. Les socialistes veulent sortir de cette crise en proposant un programme de reflation économique - comme on dit alors - c'est-à-dire d'augmentation du pouvoir d'achat. Il s'agit avant tout de protéger la République, de sortir de la crise et de remporter les élections contre la droite. À partir de juillet 1934, les choses paraissent possibles avec le retournement stratégique du Komintern, qui accepte un pacte d'unité d'action PS-PCF. Pour la première fois depuis 1920, la gauche est totalement rassemblée. Du coup, l'état d'esprit des militants, est un état d'esprit offensif, sans pour autant travailler à un programme articulé. Il y a eu certes des débats dans la SFIO, chez les économistes ou les d'intellectuels, mais le grand débat sur ce que peut être l'exercice du pouvoir n'a pas vraiment eu lieu.

    En juin 36, est-on encore dans cette ambiance de transformation ?

    Le Front populaire, c'est à la fois la défense de la République face à la menace de l'extrême droite et la volonté de modifications des rapports sociaux. Dans les différentes tendances au sein de la SFIO, tous n'ont pas la même vision de ce que doit être la transformation de la société mais tous aspirent à une modification des rapports sociaux tels qu'ils existent dans la France des années 30.

    Qu'en est-il des femmes au gouvernement alors qu'elles n'ont pas encore le droit de vote ?

    Cette question est posée depuis le début du siècle, mais une partie de la gauche y est hostile. À la SFIO, on a pris parti dans ses congrès pour le vote des femmes depuis la fin des années 20-30. Pour autant, elle ne mène pas une véritable campagne sur cette question parce qu'elle soupçonne les femmes d'être influençables par l'Église catholique. Ce vieux fond laïque, un peu dépassé, est très présent dans les esprits et notamment au Sénat où les radicaux dominent. Le programme du Front populaire, pour permettre une alliance large, ne revendique donc pas le vote des femmes, même si Léon Blum était pour, comme une majorité des socialistes. C'est pour cela que, faute de mener campagne sur le vote des femmes, Blum nomme trois femmes à son gouvernement à des postes de secrétaires d'État pour symboliser les évolutions culturelles nécessaires. Il s'agissait de Suzanne Lacore, Irène Joliot-Curie et Cécile Brunschwicg.

    Le Front populaire s'est heurté également aux conservatismes sur la question coloniale...

    Une critique avait été menée dans la SFIO sur la colonisation, avec notamment Marius Moutet, ministre des Colonies, pour qui la France devait achever son devoir d'émancipation des peuples colonisés, envers lesquels elle avait une responsabilité. La vision majoritaire était celle d'une évolution lente vers l'autonomie. Quelques intellectuels voulaient aller plus loin, mais ils étaient isolés dans la France des années 30, d'autant que les radicaux étaient colonialistes. Ce ne fut pas une question-clé du programme afin de préserver la coalition. Le Front populaire a essayé d'apporter un projet de libéralisation en Algérie avec le projet « Blum Violette » élargissant la nationalité française aux élites algériennes. Aujourd'hui, cela peut paraître timide, mais il faut voir que même ce programme timide a provoqué de vives réactions dans les colonies de la part de la droite et par tous les lobbies coloniaux.

    Quel était le lien entre le mouvement syndical et les partis politiques ?

    Le mouvement syndical s'était réunifié en mars 36 entre la CGT (qui se voulait réformiste) et la CGT-U, proche du Parti communiste. À l'époque, la CGT est la seule grande force syndicale de gauche (la CFTC n'est pas vue comme une force de gauche, même si elle professe un catholicisme social). Elle soutient le programme du Front populaire et elle est partie prenante dans les grandes manifestations de 1934-1936 à commencer par la manifestation du 12 février 1934, rejointe alors par la CGT-U. La CGT participe aux discussions de l'époque. Léon Jouhaux refuse la proposition de Blum d'entrer dans le gouvernement pour maintenir l'indépendance syndicale. Si le syndicalisme fut un appui des grandes réformes du Front populaire, il n'a pas été un acteur de cette coalition. La distance s'est maintenue entre la CGT et le gouvernement du Front populaire pour des raisons de tradition culturelle et aussi des contradictions internes à la CGT réunifiée.


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